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Alfred de Musset
Venise
Dans Venise la rouge,
Pas un bateau qui bouge,
Pas un pêcheur dans l’eau,
Pas un falot.
Seul, assis à la grève,
Le grand lion soulève,
Sur l’horizon serein,
Son pied d’airain.
Autour de lui, par groupes,
Navires et chaloupes,
Pareils à des hérons
Couchés en ronds,
Dorment sur l’eau qui fume,
Et croisent dans la brume,
En légers tourbillons,
Leurs pavillons.
La lune qui s’efface
Couvre son front qui passe
D’un nuage étoilé
Demi-voilé.
Ainsi, la dame abbesse
De Sainte-Croix rabaisse
Sa cape aux larges plis
Sur son surplis.
Et les palais antiques,
Et les graves portiques,
Et les blancs escaliers
Des chevaliers,
Et les ponts, et les rues,
Et les mornes statues,
Et le golfe mouvant
Qui tremble au vent,
Tout se tait, fors les gardes
Aux longues hallebardes,
Qui veillent aux créneaux
Des arsenaux.
Ah ! maintenant plus d’une
Attend, au clair de lune,
Quelque jeune muguet,
L’oreille au guet.
Pour le bal qu’on prépare,
Plus d’une qui se pare,
Met devant son miroir
Le masque noir.
Sur sa couche embaumée,
La Vanina pâmée
Presse encor son amant,
En s’endormant ;
Et Narcissa, la folle,
Au fond de sa gondole,
S’oublie en un festin
Jusqu’au matin.
Et qui, dans l’Italie,
N’a son grain de folie ?
Qui ne garde aux amours
Ses plus beaux jours ?
Laissons la vieille horloge,
Au palais du vieux doge,
Lui compter de ses nuits
Les longs ennuis.
Comptons plutôt, ma belle,
Sur ta bouche rebelle
Tant de baisers donnés...
Ou pardonnés.
Comptons plutôt tes charmes,
Comptons les douces larmes,
Qu’à nos yeux a coûté
La volupté ! |
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Alfred de Musset
Ninon
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime
Qui sait, brune aux yeux bleux, ce que vous en diriez
L'amour, vous le savez, cause une peine extrême,
C'est un mal sans pitié que vous plaignez vous-même
Peut-être cependant que vous m'en puniriez.
Si je vous le disais, que six mois de silence
Cachent de longs tourments et des voeux insensés
Ninon, vous êtes fines, et votre insousciance
Se plait, comme une fée, à deviner d'avance
Vous me répondriez peut-être: je le sais.
Si je vous le disais, qu'une douce folie
A fait de moi votre ombre, et m'attache à vos pas:
Un petit air de doute et de mélancolie,
Vous le savez, Ninon, vous rend bien plus jolie;
Peut être diriez-vous que vous ni croyez pas.
Si je vous le disais, que j'emporte dans l'âme
Jusqu'au moindre mot de nos propos du soir;
Un regard offensé, vous le savez, madame
Change deux yeux d'azurs en deux éclairs de flamme
Vous me défendriez peut être de vous voir.
Si je vous le disais, que chaque nuit, je veille
Que chaque jour je pleure et je prie à genoux
Ninon, quand vous riez, vous savez qu'une abeille
Prendrait pour une fleur votre bouche vermeille
Si je vous le disais, peut être en ririez-vous
Mais vous n'en saurez rien,_ je viens, sans rien en dire_
M'asseoir sous votre lampe et causer avec vous,
Votre voix, je l'entends ; votre air, je le respire
Et vous pouvez douter, deviner et sourire,
Vos yeux ne verront pas de quoi m'être moins doux.
Je récolte en secret des fleurs mystérieuses;
Le soir, derrière vous, j'écoute au piano
Chanter sur le clavier vos mains harmonieuses
Et dans les tourbillons de nos valses joyeuses,
Je vous sens, dans mes bras, plier comme un roseau.
La nuit, quand de si loin le monde nous sépare,
Quand je rentre chez moi pour tirer mes verrous,
De mille souvenirs en jaloux je m'empare;
Et là, seul devant dieu, plein d'une joie avare,
J'ouvre, comme un trésor, mon coeur tout plein de vous.
J'aime, et je sais répondre avec indifférence;
J'aime, et rien ne le dit; j'aime et seul je le sais;
Et mon secret m'est cher, et chère ma souffrance
Et j'ai fait le serment d'aimer sans espérance,
Mais non pas sans bonheur:_ je vous vois, c'est assez.
Non, je n'étais pas fait pour ce bonheur suprême,
De mourrir dans vos bras et de vivre à vos pieds,
Tout me le prouve, hélas ! jusqu'à ma douleur même.
Si je vous le disais pourtant, que je vous aime
Qui sais, brune aux yeux bleux ce que vous en diriez ! |
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Alfred de Musset
Je suis perdu...
Je suis perdu, vois-tu,
je suis noyé,
inondé d'amour;
je ne sais plus si je vis,
si je mange,
si je respire,
si je parle;
je sais que je t'aime. |
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